CLIMAT
L'agriculture à l'épreuve de la canicule et de la sécheresse estivale

L’année 2022 restera dans les mémoires pour ses conditions climatiques estivales inédites. Toutes les productions agricoles ont souffert de la canicule et de la sécheresse et ont dû faire face à des restrictions d’eau à un moment où les cultures en ont le plus besoin. Cet été 2022 aura mis en évidence la forte dépendance de l’agriculture vis-à-vis de l’eau et sa nécessaire adaptation vers des productions et pratiques plus économes en eau.

L'agriculture à l'épreuve de la canicule et de la sécheresse estivale
Dès le printemps 2022, les réserves en eau étaient au plus bas et la situation n'a cessé ensuite de s'aggraver tout l'été. ©Crest-Sud

2022 restera dans les esprits comme l'année d'une sécheresse historique. Dès le printemps, les réserves étaient au plus bas et la situation n'a cessé ensuite de s'aggraver. Avec un cumul moyen des précipitations de seulement 10 mm, juillet 2022 a ainsi été le mois de juillet le plus sec depuis 1958 en Auvergne-Rhône-Alpes. La situation d'août a été très disparate, avec des déficits pluviométriques très importants en Haute-Savoie, dans le Cantal, l'Ain, le Rhône et la Savoie, et a contrario des excédents en Haute-Loire, en Drôme et Ardèche. Les pluies ont généralement pris la forme d'orages, extrêmement localisés, ne permettant pas d'améliorer la situation en matière de sécheresse des sols. Les cours d’eau et les nappes ont atteint des débits historiquement bas. Dès le mois de juin, les préfets ont dû réglementer les usages de l'eau et ont progressivement placé une grande partie de la région en rouge, c’est-à-dire sous le coup d'arrêtés préfectoraux de niveau « de crise », le niveau maximal entraînant notamment un arrêt des prélèvements non prioritaires y compris à des fins agricoles (sauf dérogations pour certaines exploitations spécialisées : maraîchage, culture de jeunes arbres...)

 

Les éleveurs particulièrement touchés

Cette situation hydrique catastrophique, les restrictions et les températures très élevées ont été très préjudiciables pour l'agriculture. « Certains secteurs sont particulièrement en difficulté comme l'élevage qui a déjà attaqué les stocks de fourrage d'hiver, explique le président de la chambre d'agriculture d'Auvergne-Rhône-Alpes, Gilbert Guignand. Les prix des fourrages ont augmenté de 20 % et il y a des pénuries qui obligent déjà certains à aller se fournir en Espagne. Beaucoup d'éleveurs risquent de devoir réduire leur cheptel. » La direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf) a en effet enregistré, au 31 août, une pousse de l’herbe inférieure à 60 % de la pousse normale sur plus de la moitié de la région. Les éleveurs sont également fortement touchés par les baisses de rendements en céréales, oléagineux et protéagineux, de l'ordre de 12 %. Le maraîchage et l'arboriculture ont également souffert des vagues de chaleur intenses. En viticulture, alors que les vendanges se terminent, on espère que la qualité du millèsime viendra compenser les faibles quantités.

 

L'irrigation consomme 48 % de la ressource

L'année 2022 a notamment rendu visible la dépendance de l'agriculture vis-à-vis des précipitations et de l'irrigation. Avec environ 5 milliards de m3 d'eau prélevés chaque année, dont 60 % pour l'irrigation, l'agriculture est un gros consommateur d’eau. Selon l'Agence de l'eau, l’irrigation représente 48 % de la consommation nationale d'eau. En Auvergne-Rhône-Alpes, 280 millions de m3 sont prélevés en moyenne chaque année pour l'irrigation, avec d'importantes disparités entre les départements (31 % pour la Drôme, 25 % pour l'Isère contre 0,07 % pour la Haute-Savoie ou encore 0,78 % pour la Haute-Loire). Et de grands contrastes entre cultures. Les besoins physiologiques des plantes ne sont pas tous les mêmes. Par exemple, pour produire un kilo de fruits, il faut environ 800 litres d'eau, tandis que les légumes ne nécessitent que 230 l/kg et le blé 590 l/kg. Et il ne faut pas non plus oublier les besoins liés à l'abreuvement : une vache laitière consomme en moyenne 55 l/jour, avec un pic estival à 125 l/jour.

 

Le maïs, première culture irriguée

Toutefois, les besoins physiologiques des plantes ne sont pas représentatifs des impacts en termes de prélèvements, puisqu'ils incluent les apports de l'irrigation et ceux liés aux précipitations. Ainsi, le maïs nécessite beaucoup d'irrigations lors de sa phase de croissance, en été. Au niveau régional, c'est la première culture irriguée avec 36 % de la surface irriguée totale pour le grain et 7 % pour le maïs fourrage. Selon le recensement général agricole de 2020, globalement, les céréales, oléagineux et protéagineux (hors maïs fourrage) représentent plus de 63 % des surfaces irriguées, alors que les légumes pèsent moins de 5 %, et les fruits et la vigne cumulés environ 13,5 %. Globalement, les surfaces irriguées augmentent et sont passées, en région, de 145 577 hectares en 2017 à 172 962 en 2020. En arboriculture et viticulture, par exemple, certaines exploitations non irriguées ont été mises en danger par les sécheresses répétitives et a fortiori en 2022. On voit ainsi apparaître dans les cultures pérennes des systèmes d'irrigation dits de « résilience » qui ne visent pas l'accroissement des rendements mais permettent de sauver les plantations en cas de sécheresse.

 

Vers une modernisation des systèmes ?

Néanmoins, les services préfectoraux se félicitent : si les surfaces irriguées ont augmenté, les volumes prélevés n'ont pas augmenté autant proportionnellement, notamment grâce aux efforts de modernisation des méthodes d'irrigation. Mais des marges de réduction persistent puisque l'Inrae note qu’ « environ 80 % des irrigants utilisent l’aspersion (au niveau national, ndlr), parfois avec un matériel ancien, alors qu’il existe des systèmes plus économes en eau ». Quoi qu'il en soit, l'inquiétude règne. Alors que des cultures automnales terminent leur cycle et que les pluies de l’arrière-saison pointent timidement leur nez, les services préfectoraux ne sont guère optimistes sur l'évolution des restrictions. Au 14 septembre, ils notaient peu d'évolution par rapport à la semaine précédente. Si quelques levées de restrictions progressives sont à noter, « la crise n'est pas finie ». Du côté des organismes chargés de la gestion de l'eau et dans le monde agricole, beaucoup redoutent la répétition de la crise de 2022 et tentent d'imaginer des moyens de s'adapter à la sécheresse.

Leïla Piazza