Cinéma
“Là où le temps s’est arrêté” : plongée dans une ferme ancestrale

Léa Rochon
-

En septembre 2021, sortait le film documentaire de Christophe Tardy, retraçant le quotidien d’un éleveur laitier vivant chichement à Saint-Martin-en-Haut (Rhône). Depuis un mois, ce film est de nouveau projeté dans plusieurs cinémas de la région.

“Là où le temps s’est arrêté” : plongée dans une ferme ancestrale
Durant 14 mois, Christophe Tardy a rencontré et filmé le quotidien de Claudius Jomard, un éleveur laitier de 86 ans qui a toujours vécu dans la ferme familiale à 4 km de la commune de Saint-Martin-en-Haut (Rhône). © Christophe TARDY

Quelle description pouvez-vous faire de Claudius Jomard, cet éleveur que vous avez choisi de suivre dans ses tâches quotidiennes ?

Christophe Tardy : « Claudius est né en 1930 et habite seul dans sa ferme, située à 4 km du village de Saint-Martin-en-Haut. Il vit comme un éleveur vivait il y a un siècle, avec un poêlon à bois et sans frigo, ni douche. Sa ferme peut être qualifiée d’ancestrale, puisqu’elle est composée d’un chien, de quelques poules, d’un potager et de deux vaches. Parmi ses dernières, une seule donne du lait, tandis que la seconde tient compagnie à la première. Claudius vit de l’essentiel, c’est-à-dire de ce que peuvent lui donner sa terre et ses animaux. Célibataire, sans frère et sœur, il n’a vécu qu’avec son père qui était éleveur avant lui et qui est décédé quand il avait 36 ans. Son parcours familial a donc déterminé sa vie... Mais il est en totale adéquation avec cela et avec son environnement. »

Cette sobriété correspond-elle à votre vision de l’agriculture et de la ruralité ?

C. T. : « Ce film ne représente ni un modèle de vie globale, ni un modèle de vie agricole, mais il alerte sur le fait de vivre de l’essentiel. Pour moi, il est hors de question d’affirmer que le modèle agricole doit être celui de la ferme de Claudius. Mais cet éleveur nous rappelle que l’agriculture peut être basée sur un modèle contrôlé et maîtrisé. Ce film va bien au-delà : il alerte sur le vivre de l’essentiel. J’espère qu’il permettra de perpétuer le témoignage d’un modèle de ferme qui se fait de plus en plus rare. »

À de nombreuses reprises, Claudius semble oublier la présence de la caméra, comment avez-vous travaillé durant ces 14 mois de tournage ?

C. T. : « Après avoir eu son accord pour le film, je lui ai souvent rendu visite sans forcément sortir la caméra. J’ai d’ailleurs passé plus de temps à lui parler, qu’à le filmer. À force, j’ai gagné sa confiance et son amitié et il s’est désintéressé de la caméra. Je n’étais pas là pour le guider. Aucune image et action ne lui ont été demandées ou n’ont été refaites. C’est la particularité de ce film : tout a été saisi dans l’instant et dans l’improvisation, ce qui donne ce côté très authentique. Cela se ressent particulièrement lors des repas. Je l’ai filmé en train de les préparer, puis de manger, alors que la caméra était à 20 cm de son visage. Cela m’a montré à quel point j’avais sa confiance. J’ai remarqué la même chose lorsqu’il feuillette ses calendriers, vieux de plusieurs décennies. »

Le film est également rythmé par l’intervention d’un inséminateur. Outre le fait que ce fut votre premier métier, pourquoi avoir fait ce choix ?

C. T. : « Il se trouve que durant les 14 mois de tournage, Yves, l’inséminateur, m’a alerté qu’il allait intervenir sur l’une de ses vaches. J’ai filmé ce moment, car cela fait partie de la vie d’une ferme. Qu’autant de modernité vienne jusqu’au portail de Claudius, c’était même un acte étonnant au regard du côté ancestral de sa ferme. C’était paradoxal, car il gardait ses vieux calendriers des années cinquante, utilisait un poêle à bois, faisait les traites à la main… Mais il avait recours à l’insémination ! J’ai personnellement connu les pionniers de l’insémination en 1984 : mon directeur était André Charvet, celui qui a amené l’insémination artificielle en France, après être parti aux États-Unis. Mais même si j’avais d’abord été boulanger, j’aurais quand même filmé cet événement de modernité qui se déroulait chez Claudius. »

Quel lien entretenait-il avec la commune de Saint-Martin-en-Haut ?

C. T. : « Claudius est solitaire, mais il ne se sent pas seul pour autant. Quand il veut casser cette dernière, il rejoint à pied le village de Saint-Martin-en-Haut, situé à 4 km de sa ferme. Là-bas, beaucoup de gens le connaissent. Surtout à la messe, où il va régulièrement. »

Avez-vous d’autres projets en lien avec les métiers de l’agriculture et la ruralité ?

C. T. : « Je souhaiterais réaliser une fiction qui raconte l’histoire de Claudius : celle d’un homme né en 1930 et qui se retrouve sur une affiche de cinéma à la fin de sa vie en 2021. Mais pour cela, il faut réussir à capter les oreilles des producteurs, des chaînes de télévision et des diffuseurs parisiens. Ma seconde idée serait de réaliser un documentaire sur le métier d’inséminateur et ses évolutions. »

Léa Rochon

Informations pratiques : Les dates, horaires et salles de projection sont à retrouver sur la page Facebook du film “Là où le temps s’est arrêté”.
« Ce film est un blockbuster local »
La réalisation de Christophe Tardy a suscité beaucoup de réactions et d’émotions au sein la commune de Saint-Martin-en-Haut, qui a financé une partie du projet aux côtés de la Région. © Christophe TARDY
TERRITOIRE

« Ce film est un blockbuster local »

À chaque projection, Christophe Tardy le mentionne avec une certaine émotion. Ce film, il n’aurait pu le réaliser sans l’accord et le concours de la commune de Saint-Martin-en-Haut.

« Ce projet m’a tout de suite séduit, c’est pour cela que nous en avons financé une partie », relate Régis Chambe, le maire de Saint-Martin-en-Haut dans le Rhône, petite ville de 4 200 habitants située à 30 km du centre-ville de Lyon. Selon l’édile, Claudius Jomard est une figure de la commune. La sortie du film l’a même propulsé au rang de mini-star. « Une partie de son succès tient à ce film qui est un blockbuster local, puisque 80 % de la population de Saint-Martin a dû le voir », sourit-il. En réalité, cette réalisation a traversé les frontières du Rhône et a connu son heure de gloire dans de nombreux cinémas de la région. Au cinéma Saint-Denis, dans le quartier emblématique de la Croix-Rousse, la séance du 11 octobre a réuni plus d’une centaine de personnes aux origines géographiques multiples.

Le miroir d’anciennes exploitations

Le mode de vie ancestral de cet éleveur a fait écho à de nombreux habitants de cette commune des Monts du Lyonnais. « Ce film renvoie aux fondamentaux et à un passé que nos parents ont connu, c’est l’un des facteurs de puissance de ce film… Je suis moi-même fils d’agriculteur et quand j’étais enfant, cette ferme était presque la nôtre », note Régis Chambe, un brin de nostalgie dans la voix. Depuis, les vaches laitières qui pâturaient paisiblement dans les plaines de Saint-Martin-en-Haut ont été majoritairement remplacées par des vaches allaitantes. Seules quelques activités laitières perdurent. Au fil des années, le maraîchage et l’élevage de chèvre ont notamment fait leur apparition. Une tendance qui permet au maire d’annoncer avec fierté que sa commune compte actuellement plus de 90 exploitations agricoles.

L.R.

Du métier d’inséminateur à réalisateur
Originaire de Saint-Éienne, Christophe Tardy a exercé le métier d’inséminateur bovin durant dix ans avant de devenir photographe et réalisateur. © Christophe Tardy
ZOOM

Du métier d’inséminateur à réalisateur

Avant de devenir photographe et réalisateur, Christophe Tardy a exercé le métier d’inséminateur bovin. « Je n’ai pas fui ce métier que j’ai beaucoup aimé, mais j’ai écouté ma passion », explique-t-il. Après une dizaine d’années passées en Afrique pour réaliser des projets cinématographiques et publicitaires, le Stéphanois d’origine est revenu en France en 2012. C’est en 2015 que l’idée de suivre le quotidien de Claudius Jomard a mûri dans sa tête. Le film, tourné durant 14 mois en 2017 et 2018, est à l’affiche au mois de novembre dans plusieurs cinémas : Saint-Parize-le-Châtel (Nièvre), Prémery (Nièvre), Vesoul (Haute-Saône), Mâcon (Saône-et-Loire), Irigny (Rhône), Lentilly (Rhône), Saint-Genix-sur-Guiers (Savoie), Thônes (Haute-Savoie) et Poisy (Haute-Savoie).

L.R.