CONFLIT
Quel sera l’impact de la guerre russo-ukrainienne sur l’agriculture française ?

Depuis deux semaines, le peuple ukrainien est victime d’une invasion russe de grande ampleur ordonnée par le président de la Russie, Vladimir Poutine. Cela marquera inévitablement l’Histoire de l’Ukraine et de ses habitants mais entraînera aussi des conséquences économiques au sein de l’Union européenne. Quel sera l’impact sur les filières agricoles françaises de ce conflit ? Premiers constats.

Quel sera l’impact de la guerre russo-ukrainienne sur l’agriculture française ?
Le ministère russe a recommandé de suspendre temporairement l'expédition d'engrais destinés à l'exportation. La campagne française 2022 sera sans doute impactée par des prix à la hausse. ©Arvalis

« J’ai pris la décision d’une opération militaire spéciale ». Derrière son bureau moscovite, lors d’une allocution à la télévision, le 24 février 2022 à 5 h 48, Vladimir Poutine a décidé de déclarer la guerre à l’Ukraine. Difficile pour l’heure de chiffrer l’impact précis que cette guerre aura sur l’économie mondiale et européenne, notamment sur les filières agricoles. « Ce que nous sommes en train de vivre ne sera pas sans conséquences sur le monde agricole et les filières qui sont les vôtres », a prévenu Emmanuel Macron, lors de sa visite au Salon de l’agriculture, le 26 février, évoquant des conséquences sur les exportations, notamment dans les filières du vin et des céréales, et sur l’augmentation des coûts de l’énergie. Le 2 mars, à l’issue d’un conseil exceptionnel des ministres de l’Agriculture européens, des mesures d’urgence ont été annoncées pour faire face à la crise ukrainienne. Elles se traduiront par un plan de résilience encore en construction. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance, a évoqué plusieurs pistes comme des aides pour renforcer les fonds propres des entreprises fragilisées, la prolongation des prêts garantis par l’État (PGE) mis en place durant la crise sanitaire ou des soutiens plus spécifiques. « Il faut qu’on ait la liste de toutes ces entreprises dans lesquelles la consommation de gaz peut représenter 20 %, 30 %, 40 % du coût de production », a-t-il indiqué après un échange avec des fédérations agricoles.

L’encadrement des hausses

Estimant que la guerre en Ukraine pourrait renchérir de « 70 à 100 euros » la tonne d’aliment du bétail en France (contre actuellement 327 €/t en porc par exemple), le président de La Coopération agricole, Dominique Chargé, a demandé, le 4 mars, un « mécanisme qui permette d’encadrer ces hausses ». Il appelle à « rouvrir, via les clauses de révision, les négociations commerciales » qui viennent de s’achever. Par ailleurs, La Coopération agricole réclame un « bouclier énergétique durant la période du conflit », pour atténuer la flambée du prix du gaz qui représente un « poids important dans le coût de production de certaines entreprises ». Sous l’effet des tensions géopolitiques, le prix du gaz « se situe aujourd’hui entre 150 et 180 euros le mégawattheure, contre 30 euros en moyenne en 2019 », d’après Dominique Chargé. « Et il peut encore monter », craint-il.

Un appel à produire plus

Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, affirme qu’un chiffrage est en cours pour évaluer les méventes liées à la guerre en Ukraine et les hausses de coût de production sur certaines filières. « L’Union européenne avait prévu 4 % de jachère, c’est trop, alors que l’Ukraine produit 12 % du blé mondial, les prix vont flamber. Nous demandons à semer plus cette année, nous sommes prêts à le faire », a-t-elle déclaré le jeudi 3 mars au micro de France info. En parallèle, une autre inquiétude pèse sur le bassin méditerranéen. Conséquence directe de la guerre en Ukraine, les pays de l’Afrique du Nord pourraient se retrouver en grande situation de famine. Ces pays qui souffrent déjà de stocks très bas et de perspectives de récoltes très faibles sont dépendants des céréales importées de la mer Noire. « Entre les difficultés [logistiques] pour sortir les produits et la baisse de la production, la conjonction peut être explosive, confirme Sébastien Windsor, le président de l’APCA (chambres d’agriculture). Si la situation ne se débloque pas d’ici juin, il pourrait y avoir de vraies difficultés d’approvisionnement en Algérie et en Égypte, à la période de soudure en juin-juillet. »

Alison Pelotier avec Actuagri

IMPACTS / Les filières agricoles régionales en alerte
Les pays d'Europe de l'Est pourraient souffrir d'un manque de semences de maïs, habituellement multipliées en Ukraine par des coopératives françaises. ©Phrasea

IMPACTS / Les filières agricoles régionales en alerte

« Depuis dix ans, nous n’exportons pas beaucoup de génétique et d’animaux vivants vers l’Ukraine et la Russie. Le dernier embargo et les réglementations sanitaires ont posé une frontière commerciale entre les opérateurs de la filière charolaise et ces deux pays », indique Hugues Pichard, président de l’association dédiée à la sélection de la race charolaise, Herd-book charolais (HBC). Ces derniers mois, des contacts avaient néanmoins été pris avec le bureau de coopération technique et internationale (BCTI) dans le but de développer « des projets avec les Ukrainiens sur des marchés naissants d’export d’animaux vivants », nous confie-t-il. La guerre en Ukraine ne va sans doute pas aider les discussions bilatérales. Exportatrice de semences de taureau en Russie, Ukraine et Kazakhstan, la coopérative Montbéliarde Jura Bétail s’attend à l’arrêt des expéditions. Ces trois pays ont représenté 10 % de son chiffre d’affaires l’an dernier. « Nous vendons aussi des génisses vers des pays qui transitent par la Russie et la Biélorussie. 400 bêtes sont censées partir fin avril. Nous devrions être en train de sélectionner nos animaux en ce moment mais nous n’allons pas engager le processus, connaissant les difficultés à trouver un transporteur. Il y a trop de risques que la vente n’aille pas au bout… », précise Dominique Peinturier.

Fort impact sur les semences

« L’impact sera énorme sur la filière semences », alerte Philippe Roux, délégué régional du Semae Sud-Est. « L’Ukraine est l’un des premiers pays producteurs d’huile de tournesol et achète beaucoup de semences en Europe », rappelle-t-il. « Trois quarts des semences de maïs et de tournesol ont déjà été livrés », prévient Didier Nury, vice-président de l’Union française des semenciers (UFS), mais d’autres espèces sont touchées, comme le colza, les céréales de printemps, etc. « Se posent les questions de leur acheminement vers les agriculteurs locaux et des semences qu’il reste dans nos usines, en attente d’expédition », ajoute-t-il. La filière s’inquiète aussi « de la capacité de l’Ukraine à réaliser son plan de semence, contrairement à la Russie où il y a moins de perturbations locales ». Des entreprises françaises ont investi dans ces deux pays et voient les usines aujourd’hui à l’arrêt. « Nos entreprises - dont l’activité est générée sur ces deux pays - estiment qu’elles seront impactées à hauteur de 850 M€ », affirme Didier Nury. D’après Lionel Borey, président de la coopérative Bourgogne du Sud, la hausse des cours du blé interroge sur la capacité des pays du Maghreb à se fournir dans les prochains mois. « Ils vont normalement nous solliciter. La capacité exportatrice de la France est là mais vu les volumes qui vont manquer, on ne sera sans doute pas en capacité d’en assurer la totalité. »

Moins d’inquiétude pour la viticulture

Le Drômois Bruno Darnaud, président de la gouvernance économique des fruits et légumes (Gefel), s’attend « à des augmentations très importantes ». Lors du Salon de l’agriculture, les questions ont fusé : « Nous avons parlé des campagnes futures mais il est impossible de savoir où l’on va. Est-ce que l’on pourra vendre nos produits ? Les transporter ? Comment va se comporter le consommateur alors même que nous parlions déjà d’inflation ? C’est une grande inconnue », s’exclame-t-il. Du côté de la viticulture, les dirigeants des interprofessions viticoles ne se sont pas montrés alarmistes. « Les exportations vers cette zone s’élèvent en valeur à environ 340 M€, dont un tiers pour le champagne, un tiers pour les vins tranquilles et un autre pour le cognac », a précisé Jérôme Despey, le président du comité vin de FranceAgriMer. À elle seule, la Russie pèse 1 % seulement des exportations de vins français. Les exportateurs redoutent néanmoins les conséquences à moyen terme sur la logistique et les prix des matières premières. Pour le BIVB (vins de Bourgogne), les exports de vins français en direction de la Russie et des trois États baltes ne représentent que 0,9 % des volumes. « L’Ukraine est un marché en forte progression ces dernières années mais ne représente que 0,1 % de notre chiffre d’affaires », affirme son service communication. « Nous sommes pour le moment plus inquiets pour nos distributeurs sur place. Du 21 au 25 mars, nous organisons les Grands jours de Bourgogne. Une trentaine de Russes et d’Ukrainiens sont attendus et ne seront sûrement pas là… ».

AP, APr avec Actuagri

En chiffres /

Russie et Ukraine : 1ers exportateurs mondiaux de blé et 2es exportateurs d’orge

Ukraine : 3e exportateur de maïs

Russie : 1er exportateur d’engrais azotés

Russie et Biélorussie : 1er exportateur d’engrais potassiques

Main d'œuvre ukrainienne

Main d'œuvre ukrainienne
La Pologne, leader européen de la pomme, emploie une part très importante de main-d’œuvre ukrainienne. Qui assurera le gros des récoltes polonaises si le conflit venait à durer ? Photo d'illustration. ©Pôle Emploi

EXERGUE

« J’ai la certitude désormais que les emblavements de printemps ne pourront pas avoir lieu en Ukraine et ils risquent aussi d’être perturbés en Russie ». Grégoire Boyen, directeur général de Soufflet Agriculture.