INTERVIEW
N Barbaroux : « La monnaie unique a aidé à créer ce sentiment d’appartenance à l’Europe »

Le 2 janvier 2002, les distributeurs bancaires crachaient les premiers billets en euros. Vingt ans plus tard, Nicolas Barbaroux, maître de conférences en économie à l'université de Saint-Étienne et chercheur au Groupe d’analyse et de théorie économique (GATE), nous apporte son expertise et son regard sur la monnaie unique.

N Barbaroux : « La monnaie unique a aidé à créer ce sentiment d’appartenance à l’Europe »
Nicolas Barbaroux, maître de conférences en économie à l'université de Saint-Étienne et chercheur au Groupe d’analyse et de théorie économique (GATE). ©NBarbaroux

Après 20 ans d’existence, comment va l’euro ? Est-ce une monnaie qui se porte bien ?

Nicolas Barbaroux : « On peut répondre assez facilement par l’affirmatif. C’est une monnaie qui se porte bien en grande partie parce qu’elle a atteint ses objectifs. Le principal était d’étendre les échanges au niveau européen en favorisant la libre circulation. C’est chose faite puisqu’aujourd’hui on constate que plus de 60 % des échanges extérieurs en Europe sont facturés en euro. L’autre objectif de la création de l’euro était la stabilisation de l’inflation. Grâce à la création de la Banque centrale européenne (BCE) on a atteint un taux d’inflation nettement inférieur à 2 %. Ce qui n’était pas le cas avant pour tous les pays de l’UE. Le troisième objectif était de diminuer les taux d’intérêt dans toute l’Europe afin de relancer le marché de l’immobilier. Le dernier objectif est plus sociologique. À travers la création d’une monnaie unique, il y avait l’idée de construire une communauté européenne forte. La monnaie unique a aidé à créer ce sentiment d’appartenance. »

On entend souvent dire que l’euro a fait baisser le pouvoir d’achat, quand est-il exactement ?

N.B : « Il y a la réponse de l’économiste et celle du citoyen… La réponse de l’économiste qui se base sur les statistiques publiques dirait que c’est une fausse affirmation, puisque lorsque l’on regarde la manière dont est mesuré le pouvoir d’achat on s’aperçoit qu’on a une stabilité voire un gain d’après Eurostat. Mais quand on regarde ça sous l’œil du citoyen, on remarque un peu l’inverse, notamment quand il a fallu convertir en euros les prix en francs. Le système d’arrondi était défavorable pour les consommateurs. Il y a aussi eu un sentiment de confusion sur les premières fiches de paye. Plutôt que de gagner 10 000 francs on en gagnait 1 524 euros. On peut avoir le sentiment de payer plus et gagner moins. »

L’euro a résisté à la crise de 2008. Est-ce pour autant une monnaie solide ?

N.B : « C’est une monnaie solide dans le sens ou l’euro existe toujours. Mais surtout, c’est que les institutions ont su réagir notamment suite à la crise des subprimes qui est devenue la crise de la dette publique grecque. La BCE a réagi tardivement mais a réagi quand même. Ce qui fait que l’Eurosystème est maintenant doté de mécanismes de sauvegarde comme l’union bancaire, ce qui n’existait pas avant. L’euro a montré sa capacité de résilience et s’est en quelque sorte renforcé. »

Une monnaie unique pour 19 pays, concrètement ça change quoi ? Quels sont les avantages ?

N.B : « Déjà, il y a un changement sociologique parce que l’on abandonne sa culture, sa monnaie et une partie de son histoire. On accepte aussi une perte de souveraineté puisque la monnaie n’est plus gérée par la Banque de France mais par la BCE qui prend les décisions notamment sur les taux d’intérêt où l’on recherche l’intérêt global et pas celui d’un seul pays. Au niveau des avantages, avec seule monnaie, les frais de conversion disparaissent. C’est plus facile d’acheter quand on voyage dans les pays de la zone euro et cela a naturellement facilité les échanges entre les pays. De plus, la monnaie unique a permis de faciliter la libre de circulation des hommes, c’est bénéfique en matière d’emploi notamment, bien que les accords de Schengen soient aussi un facteur important. Enfin, tous les pays de l’euro ont aussi bénéficié de taux d’intérêt qui diminuent, c’est grâce à cela que le marché de l’immobilier s’est développé. »

Quelle importance revêt l’euro à l’échelle internationale ? Quel est son poids face au dollar ?

N.B : « Ce qui donne le poids d’une monnaie par rapport aux autres, c’est sa capacité de stabilité et la confiance qu’on lui accorde. On mesure cela à la manière dont les accords internationaux sont libellés et on remarque que la plupart sont établis en dollars. Donc, le dollar reste la monnaie hégémonique par l’histoire. L’euro est en deuxième position car il réunit environ 340 millions d’Européens. C’est une monnaie importante et reconnue à l’international mais qui reste dans l’ombre du dollar. »

Face à la dématérialisation de l’argent comme les cryptomonnaies, est-ce que l’euro est menacé ?

N.B : « Officiellement non puisque l’euro est la seule monnaie acceptée par la loi monétaire dans la zone euro. Le seul risque c’est qu’un grand nombre de personnes transfèrent leur argent vers les cryptoactifs et que l’euro soit moins utilisé. Mais aujourd’hui, seul 0,5 % de la masse monétaire prend la forme de cryptoactifs. On est donc assez loin de ce phénomène. Ça s’explique en partie parce que les cryptomonnaies ne sont pas stables. De plus, les cryptoactifs ont besoin d’une monnaie étatique sur laquelle s’appuyer pour éviter la faillite. Aujourd’hui l’Europe fait de la veille et réfléchit même à la création de l’euro numérique qui serait sous-jacent à ces cryptomonnaies. »

Propos recueillis par Baptiste Vlaj

1 / L’Eurosystème regroupe la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des États membres de l’Union européenne qui ont adopté l’euro.